L’étoile verte Michelin = Greenwashing ?

L’étoile verte Michelin =
Greenwashing ?

L'étoile verte Michelin ne ressemble pas à l'image naturelle qu'on pourrait s'en faire.

Célèbre dans le monde entier pour décerner de précieuses étoiles aux meilleurs restaurateurs, la firme de pneus Michelin a créé en 2020 une « étoile verte ».

Cette distinction est décernée aux établissements de restauration « particulièrement engagés dans une approche durable de la gastronomie. Respect de la terre, des saisons, des animaux… ».

Dans un article de leur site, le Guide Michelin retrace la réflexion autour de la création de l’étoile verte.

Au vu du contexte environnemental et climatique actuel et encouragés en ce sens par les gourmets qui nous font confiance, nous avons donc jugé nécessaire de prendre position sur le sujet et d’accompagner et valoriser les acteurs qui remettent du bon sens (ou qui en ont toujours mis) dans leur travail et défendent une autre approche de la gastronomie. La crise du covid-19 a également été un accélérateur de réflexion…

Il y a donc eu une prise de conscience des attentes des consommateurs par le Guide Michelin qui a souhaité proposer une solution pour les satisfaire.

A priori, l’étoile verte serait une très bonne idée que nous pourrions soutenir. Cependant, après quelques recherches, nous estimons que l’étoile verte est une distinction inaboutie, voire… du Greenwashing ?

Dès la citation du Guide Michelin, certains éléments nous mettent la puce à l’oreille :

  • L’usage des termes « prendre position sur le sujet » (le niveau le plus bas de l’action) ; « du bon sens » (sans préciser lequel) ; « une autre approche de la gastronomie » (sans la spécifier non plus) permet de dire des choses consensuelles qui évoquent une idée de “changement” mais qui ne décrivent pas clairement l’objectif et les manières d’y parvenir. Ce manque de précision fait partie des indices qui peuvent nous permettre de démasquer une tentative d’écoblanchiment, comme nous vous le disions il y a plusieurs mois.
  • Le fait que la création de l’étoile verte par le Guide Michelin a pour origine les préoccupations environnementales grandissantes implique que cette nouvelle distinction n’est rien d’autre que l’actualisation de l’offre, qui souhaite satisfaire la demande qui évolue. Bien souvent et surtout en matière environnementale, l’offre qui s’adapte à la demande manque de sincérité, ce qui aboutit à une offre qui ne relève pas complètement le défi qui lui est lancé.

Après avoir exploré quelques cartes et menus des restaurants certifiés étoile verte, le doute n’en est plus un et nous ne pouvons que déplorer l’absence de rigueur d’une telle distinction.

 

Décryptage avec quelques menus :

PS : L’objectif de cet article n’est nullement de critiquer le travail effectué par tel ou tel restaurateur. Il tient davantage à essayer de comprendre comment l’étoile verte pourrait être plus cohérente.

Commençons par le restaurant Anona, étoile verte depuis 2020 qui avance « une cuisine responsable ». Dans sa description sur le site Michelin, le restaurant déclare « sourcing de produits locaux et saisonniers, réduction des déchets et de la consommation en eau, alimentation en énergie renouvelable, attention portée au bien-être de nos équipes, notre engagement est total. Notre mobilier est également le fruit du travail d’artisans franciliens et notre vaisselle est faite en matériaux naturels ». On peut noter des efforts même si on est très loin de la « démarche totale » avancée. La démarche concerne surtout ce qui est visible alors que la plupart des pollutions sont invisibles (explications par la suite).

Quant à la carte, rien ne semble changer des autres restaurants, à l’instar du menu de Noël 2021.

 

NB : Les mots soulignés sont des aliments dont la fabrication contrevient aux principes affichés par l’étoile verte Michelin (souffrance animale, émission carbone, provenance lointaine). Les points rouges et les points verts indiquent respectivement les plats carnés et végétariens.

 

Précisons que :

  • Pour faire du foie gras, les volailles sont gavées de force afin que leur foie devienne malade. Une manière assez particulière de « respecter les animaux » comme le prévoit le site Michelin concernant l’étoile verte. Même chose pour le homard qui est plongé vivant dans l’eau bouillante pour le cuire. La souffrance de l’animal pourrait sembler logique mais certains médias ont récemment affiché leur surprise, à l’image de Franceinfo début décembre 2021. Pourtant la Suisse a déjà interdit l’ébouillantage du homard depuis 2018, les nouvelles vont vite…

  • Le boeuf est l’aliment le plus émetteur de carbone alors que Michelin a pris l’initiative de l’étoile notamment en raison du « contexte environnemental et climatique ».

  • Le caviar Schrenki vient de Chine malgré le « le sourcing local » avancé par Anona.

  • Le chocolat fait partie des 5 aliments les plus polluants, vis-à-vis du carbone émis et de l’utilisation des terres (voir infographie en fin d’article).

  • À notre sens, c’est totalement contradictoire de pouvoir avoir une étoile verte lorsqu’on propose une carte sans alternative végétarienne/végétalienne.

 

Passons à une autre table.

Vincent Cuisinier de Campagne : la démarche est sans doute plus complète que celle du restaurant précédent : « Menu zéro kilomètres : nous sommes producteurs de volailles et maraîchers, et les vignerons du village nous fournissent le vin. Les animaux élevés chez nous sont valorisés au maximum et nous limitons nos déchets au strict minimum. Nous avons à cœur de mettre en avant l’agriculture locale ». Il y a réellement une volonté de bien faire, que nous saluons. Cependant, le transport d’un aliment ne représente en réalité en moyenne que seulement 6% de l’impact carbone total d’un produit. Une étude démontre même qu’il est plus efficace de manger une fois végétarien dans la semaine que 100% local toute la semaine.

Dans ce menu, nous dénonçons la présence abusive de la viande dans ce restaurant pourtant étoile verte et sans réelle alternative végétarienne ainsi que le foie gras qui semble être une spécialité maison.

En supplément de ce qui a déjà été dit pour le premier menu, précisons que :

  • L’agneau et le veau sont chacun parmi les 5 aliments les plus émetteurs de carbone.

  • Le tout petit côté positif est qu’il y a la possibilité de commander UN plat végétarien/végétalien (pas de panique, ce n’est qu’une entrée…). On notera tout de même le prix nettement inférieur du seul plat non-carné par rapport aux autres.

On pourrait continuer pendant de longues heures en épluchant les cartes des 81 restaurants arborant une étoile verte en France. La plupart des étoiles vertes sont de la même trempe : quelques produits locaux (parfois la quasi totalité certes) mais une démarche partielle concernant la souffrance animale, l’impact carbone des assiettes, la saisonnalité des fruits et légumes etc.

Nous tenons tout de même à vous montrer 2 restaurants qui méritent pleinement leur étoile verte.

Erratum : En fait, après avoir fouillé une cinquantaine de sites différents pendant près de deux heures, il serait plus juste de dire : nous souhaitons vous présenter deux ovnis parmi les étoiles vertes. Deux restaurants qui sortent très distinctement du lot.

  1. ONA : Acronyme signifiant “origine non-animale”. Cuisine 100% végétalienne. « Nous travaillons des produits de saison, bio et locaux. Notre terrasse végétalisée, ouverte l’été, comporte 140 variétés de plantes comestibles utilisées dans notre cuisine. Notre énergie est renouvelable, et nous avons un système de compost ». C’est tout de suite plus convaincant…

  2. L’arpège : Restaurant 3 étoiles Michelin depuis plusieurs décennies, le Chef Alain Passard a décidé en 2001 de tourner une page et de mettre le légume au centre de l’assiette. Son restaurant s’approvisionne à titre principal dans ses 3 potagers situés dans 3 régions différentes du nord de la France.

Inutile de détailler davantage ces deux restaurants. Ils sont tous les deux étoilés et c’est sans doute un problème vu de l’extérieur car bien manger, selon ses convictions et le respect de l’environnement, ne doit pas être vu comme un luxe. Au contraire, les aliments bruts (a fortiori les fruits et légumes) sont loin d’être couteux. Si besoin, notre article sur la véritable consommation responsable peut vous être utile.

Nous le répétons : l’objectif de cet article n’est nullement de critiquer le travail effectué par tel ou tel restaurant, il tient davantage à essayer de comprendre comment l’étoile verte pourrait être plus cohérente.

Voici donc nos maigres contributions qui pourraient permettre de rendre cette étoile… vraiment verte ?

  • Certains aliments devraient être interdits dans les restaurants étoile verte notamment le bœuf et le foie gras, des aliments qui sont totalement étrangers à la notion de cuisine durable et au respect des animaux. On pourrait très bien imaginer que les 5 aliments les plus émetteurs de carbone (et ce n’est pas trop demandé) soient bannis des restaurants étoile verte. Ces 5 aliments seraient les bovins, les bovidés, chocolat, café, crustacés.

  • Même si l’alimentation végétalienne (voir l’infographie ci-dessous) est la moins polluante, nous ne pouvons pas exiger que l’étoile verte ne soit attribuée qu’à des restaurants végétariens et/ou végétaliens. Cependant, dans un souci de cohérence avec les objectifs affichés par le Guide Michelin, ces régimes alimentaires devraient être majoritaires sur les cartes.

  • Le Guide Michelin devrait également être moins exigeant sur le côté gastronomie des restaurants concourant à l’étoile verte afin que ce soit réellement le côté environnemental qui soit prépondérant. Cela permettrait à tous les budgets de pouvoir manger à la hauteur de leurs convictions. Actuellement sur les 81 restaurants étoile verte, 17 seulement n’ont pas d’autre étoile Michelin.

  • Concernant les engagements des restaurants, ces derniers devraient fournir davantage de transparence en communicant régulièrement sur l’effectivité de leurs promesses.

Pour terminer, rappel des ordres de grandeur des impacts carbone, terrestres et liés à l’eau (pollutions et quantités nécessaires) de notre alimentation :

NB : Ces données sont des moyennes à l’échelle mondiale. En France, les chiffres seraient sensiblement différents mais les ordres de grandeur resteraient globalement les mêmes. Oui, le bœuf, même si certains d’entre-eux passent leur vie à gambader dans des pâturages, demeurera l’aliment le plus polluant ;).

 

 

Article rédigé par Anatole Tilly